L’univers d’SCH, entre amour et tragédie

Il y a un mois, j’ai participé à un challenge : “ Écris comme SCH”. Bilan ? L’important, c’est de participer…

De plus, si j’avais l’écriture d’SCH, je ne serais pas ici, mais dans ma villa avec mon verre et mon cigare. C’est ce qui a inspiré cet article, comment SCH utilise cette plume si particulière ? J’ai décidé d’en faire une analyse.

I) SCRIBITUR AD NARRANDUM, NON AD PROBANDUM

Non, ce n’est pas du gibberish, mais une locution latine qui signifie : “On écrit l’histoire pour raconter, non pour prouver.” Ou si vous préférez : « Les vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire ».

Traduction ? Les récits n’ont pas forcément vocation à être factuels, ils servent avant tout à partager l’histoire qu’on veut raconter.

C’est ce que m’évoque l’univers d’SCH. Est-il réellement un gangster, braqueur, à la tête d’un empire du crime ? Probablement pas, pourtant est-ce que j’y crois en l’écoutant ? Oui ! Car SCH est un conteur. Sa musique est très imagée. La violence, la criminalité, ses réactions et ses relations, toutes ces images sont implantés dans l’esprit de l’auditeur assez facilement. Personne ne saura l’expliquer mieux que l’auteur lui-même d’ailleurs :

C’est du 50/50. J’essaie d’être à l’équilibre entre l’aspect narratif et la réalité. J’ai envie de trouver le juste milieu. Il faut qu’il y ait une véritable alchimie entre les deux mondes.”

“J’ai passé les deux premiers mois de la sortie de l’album {JVLIVS} à corriger tous mes textes sur Genius et verrouiller les annotations pour que les gens ne disent pas n’importe quoi.(…). Je ne voulais absolument pas que mes écrits soient mal interprétés  (…) C’est fondamental l’écriture.”

“Quand j’écris, je me dis qu’il faudrait décrire une image. J’aime que tu puisses lire une phrase et l’imaginer ne fût-ce qu’en la lisant. On retrouve un peu la même chose dans les bouquins. Musicalement, c’est super intéressant. (…) 

Interview Moustique. BE 

Il précise également dans cette même interview que pour lui, « la réalité est parfois plus violente que la fiction. » Il cite en exemple une famille qui doit se faire retirer ses meubles, impuissante. Il est vrai que la violence telle qu’elle est décrite par lui ou n’importe quel auteur reste généralement très romancée. Les cruautés de la vie peuvent être d’autant plus dures à accepter, car elles sont justement réelles. #améditer

II) L’éveil

Les origines de tout cela ? Un contexte familial difficile. Il l’explique assez bien dans le titre La nuit. Concernant la production, la mélodie est un sample de Tango to Evora, par Loreena McKennitt. Un morceau chargé en mélancolie. Les sonorités sont également proches d’une chanson populaire typique, on pourrait l’entendre chantée par de jeunes enfants  des favelas.

Une des phrases importantes du morceau est : “on avait d’l’amour pas un rouble”.

Il s’agit d’une morale bien connue : malgré l’absence de confort matériel, l’amour de notre cocon familial allège notre peine, nous empêche de sombrer et nous protège. Pourtant, ce n’est pas ce qui se passe pour SCH, la misère aura raison de la stabilité de sa famille. 

Dans le premier couplet, SCH montre son amour et sa confiance sans faille pour son père : “ Beaucoup moins foi en Dieu qu’en lui”. Néanmoins, il lui dresse un portrait peu reluisant : il parle de ses moments d’ivresse, de ses absences, de ses traits tirés, les effets du travail, de la fatigue. Une situation également subie par sa mère qui “cauchemarde jours et nuits”.

Les couplets sont courts, on laisse beaucoup de place aux ponts et refrains. On a un contraste entre les mimosas fleuris du voisin, les arbres et le 4×4 éclairés par la lune, qui s’oppose à ce que voit et ressent SCH par sa fenêtre, enfant : le départ de son père, les ombres, la brume, la nuit sombre, la grisaille et l’ennui. 

SCH est assez équivoque en mentionnant “les relances d’EDF”, la toux grasse de son père (maladie  typiquement contracté par la classe ouvrière). Un jeu d’homophonie avec la phrase :  “Lui scier  son foutu enthousiasme en vue du travail accompli” 

Lui scier = Huissier. Ce dernier étant souvent haï dans le cadre de ses fonctions.

Les conclusions de ce morceau arrivent dans le deuxième couplet, SCH  parle lui aussi de ses absences à lui une fois la  nuit tombée, mais pour des raisons bien différentes. Il fait allusion à du sang sur ses mains, des grammes. Il se retrouve avec des histoires à régler, voire “trop pour être en vie”. 

Un basculement qu’il confirme quand il dit “on était des gars bien”. Un écho à une autre ligne de sa discographie :  “quand je dis je suis un gars bien c’est relatif “ (Anarchie).

II) La vengeance du peuple 

Nous avons donc notre background. 

Face aux injustices et entraves de la misère, qui ne voudrait pas s’en sortir ? Il rêve de grandeur, de combler les vides que crée la misère. 

Sa réussite matérielle, il n’hésitera pas à en jouir, même de manière ostentatoire. Il a conscience des opportunités et des plaisirs qu’offre l’argent. Les mentions de marque de luxe dans le rap, c’est un thème récurrent, signe de réussite et richesse. Toutefois, ce n’est pas l’impression que donne SCH. En dehors d’un simple moment egotrip, pour lui cela est simplement ancré dans son quotidien à présent. Il lui arrive d’ailleurs d’associer son environnement malsain, avec des marques de luxe (et de luxure) sur la même ligne.

“Ma go a un vrai gars donc elle a d’vraies chaussures Chanel

300 kilos d’Mary Jane dans un Mercedes Benz” (Cartine Cartier)

  • Le titre de la chanson est lui même un jeu de mot  avec Cartine pour des Feuilles à rouler en italien et Cartier, une célèbre marque de bijoux de luxe. Cardi B a un jeu de mot similaire pour Bartier Cardi. –

Sur le même esprit : 

“J’habille ma p*te en Versace” / “Vide un sac rempli de cash, mon caisson trop long pour faire un demi* ” ( Pharmacie)

– pharmacie

OG, Hazi, Marseille, 1-3, argent / Givenchy, Margiela, Saint Laurent, Gabbana, Gucci, ‘sace, Y-3, Prada

– facile

On tue la ‘teille à quatre donc on en prend dix, Gucci pour ma mère, billet pour lui qui mendie” (Prêts à partir)

– prêts à partir

Gucci, Gucci, Fendi, Louis : clairement, j’hésite / Regarder ses yeux avant son c*l : clairement, j’hésite” (DLB)

– dlb

Une constante impression d’abondance, celle qui lui a été refusée, dans son enfance. Pour SCH, ce luxe, gagné à renfort de sueur, sang et feu est omniprésent tant dans ses paroles que ses visuels. 

SCH dans ses clips a tendance à privilégier les visuels haut de gamme. Son apparence soignée, travaillée en détail ne saurait en exiger moins de ses clips. On peut donc visiter des hôtels marocains (C’est la vie), l’Opéra de Paris / des casinos à cannes (Titus). Cela passe aussi par des images minimalistes mais magnifiques sur une plage (Le code) à un vrai mini film de barons du crime (Prêts à partir).

SCH clips starter pack by : me

La musique d’SCH offre une plongée dans la psyché d’un pauvre ambitieux, comment son vécu offre cette force de conviction. Cette pulsion d’atteindre le dernier étage de l’ascenseur social avant de potentiellement le détruire. 

Car SCH ne célèbre pas que sa prospérité, il célèbre l’accès à son nouveau statut. Comme une revanche sur son enfance. Son dû.

« Mon père vous a donné sa santé, j’suis là pour l’addition ! 

J’ai ses quarante ans de charbon dans l’âme. » 

«C’était pourrir ou manger le monde sans vergogne »

« Pauvreté, misère sociale, fiston pète un fusible. Ton père peut pas s’racheter un foie, il doit déjà payer tes études ». 

– Himalaya

Dans ce même morceau, il s’admet reconnaissant de s’être éloigné des personnes qui envient sa réussite, en dépit du pincement au cœur que cela lui procure.

Tout cela explique également la fameuse punch polémique : 

“Se lever pour 1 200 c’est insultant”

– A7

SCH s’est d’ailleurs exprimé à ce sujet. Il comprend les difficultés de ces personnes, il voulait manifester son soutien, à sa façon. Pour en avoir été victime, les injustices le hantent. 

Dans sa musique, cette relation avec la richesse, la douleur, l’ascension et la vengeance est omniprésente. C’est toute la beauté du personnage de SCH, il ne cache pas ses origines, au contraire elles lui servent de leitmotiv. 

IV) JVLIVS, ou l’art de d’illustration 

Tout ce qui a été dit sur la plume d’SCH, sur sa capacité à instiller des images dans notre esprit et sa haine de réussir même si cela passe par le crime ? Tout cela atteint son paroxysme dans JVLIVS, son 4ème projet. Un album-concept qui trouverait sa place dans n’importe quel film de mafieux.

Là où ses précédents projets se contentait de références régulières JVLIVS, propose d’accompagner SCH dans la gestion de son nouvel empire. Grand banditisme, préparations, meurtres de sang froid, code d’honneur, tout est présent. 

Ce concept est poussé au point d’avoir José Luccioni,  qui prête sa voix à l’Intro et revient pour les interludes. (L’acteur qui incarne la voix française officielle d’Al Pacino, ce dernier connu pour ses rôles proéminents dans les films noirs)

Julius, notre personnage principal ( version romaine de Julien, vrai prénom de SCH) nous présente le fil rouge de l’album dès la première chanson : 

“J’recherche encore mes limites, 

Gros notables à nos tables les tes-trai nous évitent

Regards froids, noirs et vides comme s’il y avait qu’du feu dans nos cœurs et nos tripes

J’les tue, question d’éthique”

– vntm

L’acronyme de la chanson, et ces premières paroles sont assez explicites et l’ambiance est posée : il veut continuer son ascension, avoir plus. Il faudra soit être avec lui soit contre lui. La trahison n’est ni pardonné ni punie d’un simple avertissement. On va donc suivre la vie de ce mafieux charismatique. 

Un fil rouge qui régit  l’album. Dans tous les sens du terme :  le rouge étant une couleur assez présente chez SCH. Elle est mentionné 18 fois au total et il est le 10ème rappeur français qui utilise le plus cette couleur. (S/o rapsodie pour la data)

Son label s’appelle Maison Baron Rouge. C’est une couleur  associée au sang et synonyme de violence et d’émotions fortes. Si cela ne décrit pas la musique d’SCH, je ne sais plus quoi dire. Nous n’oublions pas ce fameux clip d’Anarchie, montrant SCH prendre un bain de sang (littéralement).

 Elle représente aussi  le pouvoir, la richesse. La cover de Deo Favente qui précède JVLIVS, montre SCH tenant une couronne de laurier, tradition romaine symbole de triomphe. Avec en fond un rideau rouge et lui couvert de peinture doré, un peu dégoulinant. Peut-être comme un autre bain de sang, suggéré cette fois-ci ? Après tout, comment les romains célébraient-ils leurs victoires ? 

Julius,  est un criminel endurci, ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on peut obtenir le respect et réussir dans son monde. Il nous conte son quotidien dans lequel l’adrénaline, le plaisir et l’omerta font loi. Il sait que seul la mort y mettra fin.

“Des flingues et des corbillards

Derrière les corps d’hier (le crime à ma table)

(…)La fin, c’est la mort yah 

(…) (on va mourir au soleil)

(…)

“Sous les yeux d’Marie, toutes les prières de la Major

On s’retrouve à Saint-Pierre (des flingues et des corbillards)”

– Skydweller
  • Marie / prière = mentions à l’éternel. Saint-Pierre étant un cimetière, il a conscience qu’il retrouvera ses proches, ses “étoiles” tels qu’il les appellent, dans un autre monde. Mais la notion de mort au soleil sous-entend qu’il préfère cela à n’importe quel vie ennuyeuse et une sentence en prison – 

Skydweller est également le nom d’une marque de montre de luxe, ce qui explique le bruit des aiguilles qui tournent en boucle. Au vu du thème abordé, on peut également voir le lien avec un compte à rebours implicite pour le jeune mafieu, ses jours étant comptés s’il poursuit sur cette voie.

Pour la production nous avons une mélodie très rythmée, une guitare en introduction et  des castagnettes. Des sonorités chaudes et méditerranéennes comme il les aime. Nous sommes beaucoup plus proche d’un tango ou d’une salsa enflammée qu’autre chose. C’est une danse. Oserais-je dire, une danse macabre ?

Il mentionne d’ailleurs des amis qu’il a perdu plus loins dans le “Code”, une musique elle aussi chaude et rythmé pour annoncer que ses amis sont partis “au son des guitares”.

Il lui arrive également de douter de ce choix de vie. Dans Ivresse et Hennessy, il expose ses propres dérives et addictions. Dans son cas la nuit ne porte pas conseil, mais excès, regrets et remise en question. Il célébrait sa victoire sur ses ennemis dans le morceau précédent (Mort de rire) mais doit maintenant se ressaisir avant de  “mourir d’une cirrhose”. 

La suite de l’album continue sur cette lignée, comme tout homme de pouvoir, la paranoïa  l’envahit, la monotonie, ses amis morts ou bien enfermés, et dans tout cela : 

“Qui veille sur lui” ? (Interlude)

– interlude

“Je ne suis qu’un homme” (J’t’en prie)

– J’ten prie

Au fil de l’album, nous n’avons pas de mal à imaginer SCH cheveux au vent, dans sa villa,  en pleine réflexion. Ce qui est l’idée général du clip de Le code. Simple mais efficace.

Il se pose donc des questions pour la suite et tant mieux car ces questions ne resteront pas sans réponses. JVLIVS, comme toute grande saga a été annoncée comme une trilogie. Ce premier tome n’est qu’une introduction mais je savoure d’ors et déjà mes pop-corns !

V) L’amour

Je n’ai pas choisi le titre de cet article au hasard. Derrière les armes, le sang et les dérives mafieuses, on retrouve un autre thème récurrent. Dissimulé, pudique et pourtant subtilement omniprésent. 

L’amour. 

Celui qu’il avait pour son père, et qui l’a accompagné tout au long de son ascension. Amour qui s’est parfois noué à sa haine et sa rage contre ce monde. Nous avons parlé de La nuit, mais Otto est une chanson qui lui est également dédié. Son père étant décédé avant la sortie de son précédent opus. Ils avaient dû faire face à une rupture pendant 6 ans (Comme si)  avant de se réconcilier. Il n’aura donc jamais eu l’occasion d’entendre ces cris du coeur de la part de son fils. 

Il en a également pour ses proches, ceux qui partagent son mode de vie dangereux, ceux qu’il a dû enterrer ou voir s’éteindre à petit feu en prison. 

Il prie pour eux et s’inquiète de les voir courir vers l’une de ces deux issues. 

Pour les femmes, c’est un peu plus compliqué, il n’est pas étranger à l’amour, ses pertes et sa douleur, c’est d’ailleurs le thème reconnu de Fusil, un morceau fulgurant qui clos sa mixtape A7. La perte d’une amie dans les premières lignes puis d’une relation qui l’a marqué. On peut donc comprendre ses réticences à s’engager surtout quand l’argent, la débauche et les femmes coulent à flot (Facile / Ivresse et Henessy). De plus : 

  • “ Elle veut que j’ouvre mon coeur, moi j’ouvre ma braguette” (Incompris)
  • “J’sais qu’elle va revenir et j’sais qu’elle va rien me dire” (Mort de rire)

Difficile d’être plus explicite. 

Malgré tout cela il y’a une femme dans sa vie qui a toute son attention, sa loyauté et son amour.

Sa mère. 

“J’continuerai tant qu’j’verrai pas les yeux bleus d’maman briller » (Mauvaise idées)

mauvaise idée

“J’voulais juste mettre à l’abri maman mais j’ai volé son sommeil. (Bénéfice)

bénéfice

“Elle sait qu’on finit dans l’sang, j’lui fais des bisous pour la rassurer” ( Pharmacie)

pharmacie

“Si j’pars et j’reviens pas, j’aurais rendu fier mama”

dlb

Ces quelques phrases résument bien leur relation, il l’a vu souffrir plus jeune et souhaite la protéger. Elle s’inquiète pour son fils et de ses travers. Mais tous ces risques il est prêt à les prendre tant qu’il a son soutien. Ce soutien inébranlable l’accompagne et est son refuge, face à la mort et les doutes (Bénéfice / Ciel Rouge). Elle et lui  ont conscience de la possibilité de se perdre l’un l’autre. Son mari est mort dans la misère mais la richesse peut lui ôter son fils, telle une tragédie romaine

Certains de ses morceaux les plus touchants lui sont dédiés ( Allô maman / ça ira)

Et l’album Rooftop, qui marque une pause dans l’histoire de Julius, et un retour de Julien, qui parle beaucoup d’elle. Il s’agit de son cinquième projet et il s’y livre beaucoup. Avec moins d’histoire mais de la sincérité

Cet article s’achève. J’espère que ce petit voyage dans l’univers d’SCH fut satisfaisant.  Je vous propose pour conclure, 10 morceaux d’SCH à écouter  (vous êtes confinés, vous avez le temps) :

  • Solides. 
  • Gomorra. 
  • A7.
  • Ciel Rouge
  • J’attend
  • Skydweller
  • Alleluia
  • Tant Pis
  • Cervelle
  • Fusil
  • Bénéfices

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